Pour atteindre les sommets du Grand Colombier (1.534 m d’altitude) où il faut alimenter et exploiter les Alpages, les premiers tracteurs remplacent les attelages de bœufs. L’été, bien avant l’aube, un vieux GMC (de la seconde guerre) monte une citerne pour abreuver les troupeaux. Pour moi qui suis un enfant, ce camion monte au bout du monde.
Il y a quelque fois des Jeeps qui attaquent la montée, mais il est difficile pour le conducteur d’atteindre le sommet ; souvent la pompe à essence surchauffe et c’est la panne (moi, en culotte courte, j’ai déjà un doute sur la fiabilité de cette soit disant célèbre Jeep). Mais cette montagne m’attire et j’ai envie d’en découvrir tous ses chemins et sentiers.
A 12 ans je conduis les tracteurs PORSCHE que mon père a vendu aux paysans des environs. Je découvre enfin ces chemins de montagne d’où je redescends des chars de foin ou de bois. Je découvre les sensations de l’adhérence, j’apprends qu’il ne faut pas mettre les roues n’importe où. Je m’imprègne aussi de ces parfums de terre, de forêt et de gaz d’échappement qui devient mon parfum préféré. C’est toujours le même aujourd’hui avec mes buggy.
L’âge du permis de conduire approche. Je récupère une vieille coccinelle cabriolet et je commence à sillonner les chemins de « ma montagne », mais il reste des sentiers inaccessibles à ma monture. La carrosserie est encombrante ; je l’allège, je ne garde que le châssis roulant. Je le renforce et l’équipe de pneus à crampons et enfin je peux gravir ces sentiers étroits, pentus et rocailleux.
Grâce à mon 1° Buggy, en 1970, je réussis avec mon frère à effectuer la première liaison Anglefort –Colombier - Valromey. Il n’existait aucun chemin. (Ce n’était certes pas la traversée du Ténéré mais quand même …)
Je vis dans le milieu automobile, donc je lis l’Argus où chaque année il y a un reportage sur le RALLYE des CIMES en Pays Basque ; une course de bergers crée dans les années 50 où les Jeep récupérées après la dernière guerre sont les reines de l’épreuve. Ce rallye m’intéresse et fait germer des idées.
Je ne suis pas admiratif de la Jeep. J’ai d’autres idées plus modernes. En effet à la fin des années 60 fleurissent dans la presse spécialisée des photos de Buggy californiens « rois des plages ». Ils sont construits sur les bases de la coccinelle. Pour avoir construit en 1965 nos premières Formule Vé, roulé avec ma coccinelle dans les chemins, j’imagine ce que je peux faire avec cette mécanique. Donc je veux construire un BUGGY ROI DE LA MONTAGNE et je n’attends qu’une chose : aller taquiner ces vieilles Jeep au Pays Basque.
En 1970 nous sommes quelques petits constructeurs de Buggys dans la région : René BABOULIN, PUNCH (Claude CRETIN et Gérard MAURIN) et l’idée d’une course Tout Terrain en montagne va se concrétiser avec un rendez-vous à Megève organisé par M ROCHE Président de l’Office de Tourisme. M MOREL et Marcel BURLET pour l’ASA du Rhône. Nous passons un week-end à Megève avec nos Buggys et quelques Jeep savoyardes (Pissard, Baz, …). Nous parcourons les nombreux et difficiles chemins de crêtes et nos Buggys suivent les Jeep. Les savoyards se croient alors invincibles, pensant nous planter sur leurs pistes. Souriants au départ ils sont surpris et même un peu vexés. Après ce bon week-end le 1° rallye des Crêtes voit le jour en 1971. En région parisienne existe déjà le rallye « infernal », épreuve ouverte à de nombreuses berlines plus ou moins préparées. Ce premier rallye des Crêtes est certainement un déclic pour la suite du Tout Terrain.
Après un reportage dans la presse où j’annonce mon intention d’organiser une telle épreuve dans ma montagne, Marcel BURLET de l’ASA du Rhône m’appelle pour me dire qu’il est partant pour l’organisation de cette 1° Ronde Tout Terrain du Haut Bugey.
Une cinquantaine de participants s’inscrivent avec des Bab Buggys, des Punch, des LM, des protos des Jeep, Steyr Puch et même des « parisiens » en berlines genre Saab, R8 Gordini , Citroen DS… Pour donner de la notoriété à l’épreuve j’ai la chance de pouvoir compter sur un ami Bernard GROSFILLEY membre de l’équipe de France de Ski qui emmène en copilote Henri DUVILLARD alors Champion du Monde de ski. Ils remportent cette première édition, et récidivent l’année suivante. Le public est nombreux le long des chemins du Colombier.
Le Rallye des Crêtes à Megève puis le BUGEY deviennent des rallyes de MONTAGNE. Les Buggys dominent les épreuves mais les Jeep sont toujours présentes. Les « parisiens » et leurs berlines n’apprécient pas vraiment et de là naitra une longue querelle entre épreuves de Plaines et de Montagne. Mais l’union de ces deux tendances donnera lieu en 1973 à la création d’un CHAMPIONNAT de FRANCE TOUT TERRAIN FFSA .
De mon côté (j’ai alors 25 ans) je déborde de projets. Le Tout Terrain est ma voie et je pourrai construire des protos, piloter, organiser des épreuves, aider à créer Chamrousse, Crémieu, Les Aravis, la Chartreuse et même Moirans dans le Jura. Il y a tout à faire dans cette discipline et je vais y consacrer ma vie entière.
J’y pense de plus en plus. En 1972 j’envoie en reconnaissance Bernard GROSFILLEY sur mon premier proto. Il y a un parcours 4x4 et un parcours 2 roues motrices. On y rencontre nos premiers adversaires avec des APAL à moteur Porsche , des SUNHILL, Thierry de Montcorgé…
1973 J’y vais moi-même. Je réalise des temps scratch le premier jour mais j’abandonne à mi- course. A l’arrivée Thierry de Montcorgé fait gagner un buggy pour la première fois. Les basques n’apprécient pas vraiment mais pensent que cela ne se reproduira pas.
1974 Je reviens très motivé, j’y crois et je suis certain de pouvoir dominer les Jeep. Sans réaliser de temps scratch je remporte l’épreuve. Les Basques disent alors que je gagne sans panache… Je souris en pensant à l’avenir.
1975-76 Même schéma. Trois victoires d’affilé avec un Buggys complètement évolués : châssis tubulaires, moteur VW Porsche 914 2 l, le buggy est invincible ! Certains basques commencent à comprendre qu’il faut désormais rouler en Buggy pour gagner. Jean AGUERRE et F BERNAD ont très envie de ce buggy qui gagne et ils me l’achètent.
1977 Je veux faire mieux et dominer complètement cette épreuve. J’arrive avec mon premier proto 4 roues motrices à moteur Porsche 2,7 l en position centrale. Nous sommes alors six ans avant la 205 Turbo 16 qui reprendra cette architecture. La déception est grande sur la ligne de départ où je suis contraint à l’abandon (eau dans l’essence). C’est une Jeep proto Alfa qui remporte l’épreuve pour la dernière fois.
1978 Le proto 4 Roues Motrices c’est la suprématie. Je remporte l’épreuve avec 4’44’’ d’avance sur le second. Les Buggys remplacent les vieilles Jeep sur le podium du Rallye des CIMES si cher aux bergers Basques.
De 1974 à 1993, mes protos remporteront 11 fois l’épreuve.
Le rallye Tout Terrain du Bugey, c’est mon épreuve… Et celle de l’ASA du Rhône. J’y consacre tout mon temps, je le cogite tous les jours durant 25 ans. Mais en 97, les exigences de la FFSA côté inscription-organisation m’obligent à baisser les bras. C’est uniquement une question de budget qui me contraint à renoncer à organiser une 26° édition. C’est un COUP DUR pour moi car je pensais l’organiser jusqu’à la fin de mes jours, d’autant que cette épreuve était très bien perçue dans toute la région. Les communes me faisaient confiance, les concurrents appréciaient ce rallye polyvalent. C’était un rendez-vous national de la convivialité et du sport auto, où Basques, Normands, Charentais côtoyaient les locaux.
C’est pour revivre tout cela que je décide 40 ans plus tard de refaire l’histoire de ce rallye, en espérant réunir les concurrents, les assistances, les organisateurs et les commissaires, les représentants des communes et tous ceux qui ont participé au fonctionnement de ce rallye.
Tous ces personnages sont aussi à l’origine de ce Championnat de France qui nous a tellement motivé au travers d’une douzaine d’épreuves chaque année dans des régions aussi diverses que la Charente, l’Auvergne, la Normandie, le Pays Basque et bien entendu Rhône Alpes.
Comme dans toutes les disciplines sportives, nous avons débuté en créant les épreuves de toute pièce. Avec les moyens du bord et l’appui de nombreux bénévoles. En construisant des autos simples à grand renfort d’ingéniosité, d’astuces et de convictions personnelles. Mais nous n’avons pas pu échapper à la dérive peu raisonnable de la réglementation et des coûts d’investissements ; Que ce soit d’ailleurs pour les concurrents comme pour les organisateurs !
J’ai la chance d’avoir vécu pleinement l’avènement du TOUT TERRAIN. De l’avoir créé en tant que discipline sportive, porté avec toute ma sueur et mes convictions, d’avoir fait évoluer la réglementation à la commission de la Fédération Française du Sport Automobile. Je suis « fier » d’avoir été la locomotive de cette discipline. Et en tant que constructeur, pilote ou organisateur d’avoir pu maintenir une longueur d’avance pendant trente ans. Comme d’avoir pu motiver les parachutistes de BAYONNE en leur construisant un véhicule d’intervention rapide dérivé de nos protos le MILBUG.
Ma meilleure récompense ? C’est quand on me dit aujourd’hui « je me souviens de vous ; on lisait ECHAPPEMENT , AUTO VERTE … où vous figuriez toujours comme favori et souvent en vainqueur ! »
Je fais partie de ceux dont on se souvient car j’ai marqué une époque par mes constructions, mes résultats et l’image du passage de mes Buggy rouges au chant du moteur Porsche.
Tout commence dans les années 50 quand on remplace les bœufs par des tracteurs construits souvent grâce à des récupérations par des forgerons et des mécaniciens inventifs, astucieux. On a grand besoin de MECANIQUE .
Avec les années 60 l’innovation bat son plein. Les tracteurs sont construits en série. C’est l’effervescence, toutes les fermes s’équipent. C’est aussi l’époque des ARTISANS CONSTRUCTEURS. Et très vite apparait un point commun entre la mécanique agricole et les voitures de course : l’INGENIOSITE! Et si cet artisan constructeur a quelque passion pour le sport auto le lien est inévitable. C’est à ce moment qu’apparaissent les premières formules de promotion, en 1965 avec les Formule VE, les Lotus Sewen, les MEP, la Formule Renault, la coupe R8 Gordini… On peut alors construire et rouler avec de petits moyens. Les courses de côte se multiplient, les circuits comme Magny Cours, Nogaro fleurissent. C’est le grand début de l’aventure sportive automobile.
En 1970 les entreprises fonctionnent. Les employés font des heures supplémentaires et peuvent acquérir des R8 Gordini, des NSU TT… Il y a toujours une course de côte ou un rallye pas loin et on peut y participer sans contraintes ; les licences sont d’un prix accessible. C’est une période rêvée pour bon nombre de passionnés et d’amateurs du sport auto. Chacun cherche et trouve des solutions pour progresser, et ces artisans vont faire du sport auto un véritable laboratoire d’innovations en mécanique, suspension, freinage tout en fiabilisant les autos. Ces solutions permettent les performances des véhicules d’aujourd’hui.
Je suis fier d’avoir contribué à cette HISTOIRE
Le Grand Colombier. Le Maire, le Général LAMOUILLE et son conseil municipal ne sont pas des adeptes du sport et ne sont pas faciles à convaincre. Ces incompréhensions durant 25 ans m’ont fait subir de grosses déceptions (parfois à en pleurer) mais ma motivation était si forte que j’ai toujours trouvé la hargne nécessaire pour rebondir. Il aura fallu courber le dos pour faire durer cette épreuve. J’ai souvent donné tout de ma personne mais j’étais souvent face à des gens s’imaginant que j’organisais par intérêt personnel. Peu ont compris notre passion sportive que nous voulions partager avec tous ceux qui participent ou qui regardent.
Le parcours est souvent gras et même enneigé avec des passages difficiles entre les arbres et de fortes pentes sur des chemins rocailleux. Il faut souvent pousser, treuiller et même chainer les roues. Les commissaires de l’ASA sont déjà gelés dans la forêt. A la buvette le sou des écoles et les pompiers sortent des diots et grillent les saucisses. Le parc de regroupement est alors l’enceinte de la buvette. A cette époque les Buggy sont des 2 roues motrices à base de châssis de Coccinelle et leurs moteurs approchent les 60 chevaux… Les Jeep sont d’origine, simplement équipées d’arceau.
Le Maire Marcel GACHE est mon ancien Directeur de collège. L’essai de départ de Culoz ne sera pas renouvelé. Le parcours du Colombier très étroit ne permet qu’une course de côte en deux tronçons.
Anecdote : A l’occasion d’un tour de classe où l’heure n’était pas aux félicitations, le professeur me fit la réflexion suivante : « toi qui veut faire de la compétition, il faudra te l’amener sous les fesses ta voiture ! ». Je l’ai fait, j’ai construit et reconstruit et j’ai gagné. Seul regret de voir qu’aujourd’hui ceux qui nous incitaient à réussir –chose que j’ai faite- sont un peu les mêmes qui nous interdisent de profiter de notre savoir-faire et de nos passions. 50 ANS plus tard je n’ai pas oublié le sermon et cette contradiction reflète malheureusement les réalités actuelles.
Reconnaissance d’un nouveau parcours sur le plateau d’Hauteville. Grâce à deux amateurs de Jeep (Jo BAILLY et Jo ANCIAN) et d’un Maire très enthousiaste Maurice LYAUDET, l’édition 1979 a lieu dans cette commune. Les pompiers tiennent les entrées, le comité des Fêtes fait chauffer les buvettes. Le public est nombreux. C’est une réussite et à THEZILLIEU il fait beau, froid avec parfois des journées de pluie ou de neige ; c’est parfois dur pour l’assistance. Les Buggy montent en puissance ; les moteurs sont souvent des Porsche, PRV, Alfa 6 cylindres développant de 150 à 200 cv et rendant aussi les transmissions plus fragiles. Les Jeep elles aussi s’équipent de moteurs plus puissants mais leurs suspensions restent presque préhistoriques.
Grâce à l’omniprésence d’André BORON, devenu Maire, le rallye passera 19 ans à Thézillieu.
L’éternelle querelle en tout terrain entre les rallyes de plaine et des rallyes de montagne me décide à chercher un compromis pour l’épreuve. Jean GONNET alors adjoint aux sports de la ville de Belley, et Pierre BERTHET comprennent tout de suite l’intérêt et la valeur de mon épreuve et ils feront le maximum tant pour m’offrir des parcours que pour la promotion. A partir de leur rencontre je suis moins seul. Nous organisaons à Belley une première journée avec trois spéciales de plaine. Le dimanche c’est le retour à Thézillieu avec trois spéciales de montagne. Il y en a pour tout le monde et l’assistance peut se faire près d’un départ ou d’une arrivée, les pieds au sec et avec peu de déplacements.
C’est l’époque où l’on enregistre une grosse évolution des véhicules. Les Buggy ont maintenant 4 roues motrices - PHIL BUG – FOUQUET – RIVET – FLAC – GEMBO – PACHIAUDI - et avoisinent 300 cv. On arrive même à des moteurs Porsche 3,6 litres et des V8 Audi. On est alors plus près des voitures du groupe B que des 4X4 d’hier. Les Jeep disparaissent alors qu’arrivent des 4x4 plus modernes donnant naissance à des challenges (LADA, CHEROKEE, LAND, PAJERO, etc.)
Durant vingt- cinq années j’ai organisé cette épreuve avec mes proches et quelques bénévoles qui ont eu simplement envie de participer avec nous à l’organisation. Avec quelques bons pique-nique les jours d’élagage … manuel. J’ai aussi pu apprécier l’accueil des communes et la confiance que l’on m’accordait. Cependant l’équilibre budgétaire était très précaire et il était difficile d’assurer dans nos montagnes le financement d’une telle épreuve.
Dans l’idée de rendre plus populaire l’épreuve je tente de me rapprocher de communes proches de plus grandes agglomérations ou de sorties autoroutières. L’arrivée se fait à Saint Jean le Vieux-Ambronay en 1997. L’année est difficile car il n’y a plus d’épreuves en Rhône Alpes et il n’y a plus de réservoir de concurrents. Il faut les faire venir du Sud-Ouest ou de Normandie et avec un plateau de 48 équipages je ne fais plus face aux dépenses. N’ayant pas l’assurance de financer l’édition 1998 je préfère mettre fin à cette très belle aventure. C’est aussi la fin de 25 années de collaboration fidèle avec l’ASA du Rhône et avec tous ceux qui nous ont reçu.
J’ai créé cette épreuve, nous l’avons organisé. Mais qui a forgé sa notoriété ? Avant tout la presse avec des journalistes aussi passionnés que nous. Je n’oublierai jamais le plaisir de les voir sur le terrain et celui de les lire.
La presse mensuelle avec Yves GALLET, Yvonick JAMBON, Pat PERNAT, Serge POTIER, Jean Jacques DUVERLY , Gérard BOURDET…
La presse régionale avec Claude BAZETOUX, Yves VELON, Francis VIAILLY, Jacques ELOY, Nadine MICHOLLIN et Gilles GAILLARD qui sera aussi mon dernier coéquipier.
De toute cette époque je garde bien évidemment un regard sur cette discipline qui est la mienne.
Et je regrette la disparition de belles épreuves pour des problèmes d’associations sportives ou de budgets.
Je n’ai jamais cru à l’évolution de Buggys aux allures de berlines qui dénaturent l’image du Tout Terrain auprès du grand public.
Je constate que l’évolution mécanique actuelle n’a plus rien de commun avec le génie qui nous animait, nous et tous nos adversaires. Rien au fond n’a changé et les principes que nous avions développés sont toujours d’actualité. Tout se calcule désormais en milliers d’euros ce qui rend la discipline inaccessible aux modestes budgets et encore plus aux débutants. J’avais essayé en 1997 avec les Bugey Bug et les volants BF Goodrich d’ouvrir une voie à la promotion de la discipline. Mais les règlements fédéraux ont imposé de telles contraintes budgétaires que le projet a pris fin. Et avec lui 25 années d’évolution.